Aller au contenu

Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
Rédemption.

Et elle leva des yeux troublés de regret et d’amour, comme si un noir pressentiment l’avait prise.

Elle se ressaisit aussitôt. Se haussant sur la pointe des pieds et jetant ses bras autour du cou de Réginald.

— Embrasse-moi, dit-elle. Je t’aime… je t’aime… je t’aime…

Longtemps, appuyée à la barrière du jardin entre les deux cormiers, elle le regarda s’en aller. Lorsqu’il eut disparu au détour de la route, elle rentra à la maison à pas lents.

Elle avait le cœur gai, elle l’avait à pleurer.

Lorsqu’elle pensait à lui, qu’elle venait de revoir, à lui qu’elle aimait jusque dans les fibres les plus intimes de son être et qui partageait son adoration, une joie qui l’effrayait tant elle était grande l’envahissait.

En cet instant, elle considérait la vie de la femme aimée comme le triomphe de la création de Dieu.

Mais quand devant ses yeux épouvantés, s’offrait la tentation de la grève, en ce dimanche de septembre, les larmes mouillaient ses longs cils d’or rouge, et une immense pitié d’elle-même suppliciait son âme.

Jusqu’à ce jour elle était restée pure, non par orgueil ni ostentation, pour la seule gloriole de s’entendre répéter qu’elle était honnête, mais par cette pudeur instinctive chez toute jeune fille qui n’a eu sous les yeux que des exemples de vertu et de décence.

Simple et droite, elle n’ignorait ni ses défauts ni ses mérites. Surtout elle était certaine d’être restée immaculée. Si loin que se reportât sa mémoire, elle était demeurée l’enfant blanche et d’or, qui sous le voile des premières communiantes, s’était approchée de la Cène.

Elle était honnête parce qu’elle était bonne : elle ne voulait pas offenser celui qui lui demanderait son cœur et son corps en lui passant au doigt l’anneau nuptial. Si trop souvent le mariage est une vulgaire transaction commerciale,