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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/119

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Rédemption.

un contrat d’achat et de vente, elle voulait que la marchandise qui serait achetée fût digne du prix que l’on en donnerait.

Mais elle l’avait vu lui, elle l’aimait follement.

Sur son front de marbre, sous la masse lourde de ses cheveux d’or rouge, il lui semblait que la tentation qui la torturait était écrite là en caractères infamants, comme la fleur de lys imprimée dans la chair grésillante des anciens criminels.

Lui seul était cause de ce malheur. Et elle l’avait empêché de partir. Et elle ne lui en voulait pas. Lui en vouloir ? Elle l’aimait chaque jour davantage. Si elle était tentée, elle s’en prenait uniquement à elle-même. Mais elle en souffrait atrocement. Assise près de la table reprisant le tricot du grand-père, elle songeait à toutes ces choses.

Il faisait une après-dînée tiède, une de ces après-dînées de septembre où le soleil, qui n’est plus celui de l’été, mais pas encore celui de l’automne, jette de la gaieté, de la vie partout dans les maisons alors devenues trop étroites, on se meut difficilement. Il faut sortir et bénéficier sous le ciel bleu de ce trop plein du rayonnement de la nature.

Avec l’idée que le soleil et le grand air détourneraient le cours de ses pensées, Romaine sortit.

Nu-tête, elle n’avait pas l’intention d’aller loin, sans doute. Mais elle s’aperçut bientôt qu’elle hâtait le pas.

Elle traversa le pont et tourna à gauche. Dix minutes plus tard, elle était sur la grève.

Au moment où elle poussait à l’eau le doris de Johnny Castilloux, elle vit venir vers elle un pêcheur, Jean Maldemay, qui ne s’était pas encore consolé d’avoir eu sa demande en mariage rejetée.

— Bonjour la demoiselle, dit-il en portant la main à sa casquette. À ce que j’vois, vous appareillez pour prendre le large.

— Oui. Il y a quelques jours que je ne suis pas allée sur la baie, et je profite des derniers beaux jours.