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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/120

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femmes allemandes ont à peine trompé davantage leurs maris, les collectionneurs de livres libertins augmentèrent à peine leurs achats, les littérateurs ne se turent point. Tant c’est le paroxysme qui est normal en Allemagne, et non l’ordre l Tant ses énormes fleuves témoignent physiquement de son artériosclérose ! Tant la passion et non la raison ! Le seul sage que l’Allemagne ait produit se trouve être son plus grand homme, mais il est à peu près le seul, alors que dans le moindre bourg français de la côte méditerranéenne, Cassis ou Carqueranne, le reflet qui a caressé le front de Goethe et qui s’accroche d’ailleurs depuis sa mort à chacun de ses bustes, se pose chaque jour sur le visage du brigadier du port et du receveur en retraite…

Sur le front de Kleist, une tache de soleil jouait. Le prince se tut, la regarda. Il avait le choix : il pouvait croire que c’était là le second reflet de la sagesse sur une tête allemande, ou plus simplement, comme dans les music-halls une lumière annonce la fin du numéro, qu’il devait passer maintenant la parole à Siegfried… J’aidai à cette interprétation en me tournant vers mon ami. Kleist se préparait d’ailleurs à parler ; à dire sur l’Allemagne sa pensée profonde, qu’il n’éprouvait plus le besoin, depuis la lettre de Solignac, de me cacher, pensée qu’il croyait inspirée en lui par Mommsen et Treitschke, alors qu’elle l’était par Michelet et par Renan, avec des détails d’expression qu’il croyait empruntés à Dehmel ou à Gottfried Keller et qui étaient du Toulet ou du Moréas, et parfois des hésitations, qu’il attribuait à Luther, à Hauptmann, mais qui lui venaient en fait de Montaigne ou de France…