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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/179

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magne de ne créer, pour exprimer ce qu’est l’Allemagne, que des esprits médiocres, et de donner au monde ses génies. Gœthe se dérobait à tous ces partis allemands venus pour le faire parler par cette estrade comme par une table tournante, et atterrés de voir que l’Allemagne épuisée ne donnait plus au commandement, comme l’Allemagne heureuse, son plus bel ectoplasme.

Je comparais en moi, sans jalousie, cette expérience d’hypnotisme au centenaire de Molière que nous avions célébré en janvier. Le mois de Molière était arrivé, premier de l’année, à chaque minute changeant et étincelant, — quelque don de Shakespeare en l’honneur de son collègue, — à midi la neige déjà fondue excepté au rebord des croisées nord, puis du soleil, puis du gel, et le mercure du thermomètre montait et descendait aussi vite que l’huile dans le tube indicateur d’une auto. Toute une succession aussi de beaux meurtres et de belles haines, offrande de Dante ; une femme Guillaumin, de Lyon, ayant eu en six mois deux maris et cinq amants assassinés, Briand lâché de Cannes sur son ministère comme un élastique, le pape Benoît tué la veille de sa reddition à Trotsky. Un mois de répit et presque d’accord avec l’Allemagne, don de Gœthe ; un collectionneur de gnous, l’un de ceux sans doute dont l’épouse avait méprisé Lotte, léguant ses dix plus beaux sujets au Muséum de Paris… Dans le hall du Claridge, les délégués étrangers expliquaient pourquoi ils aimaient Molière aux Guitry, au député de Pézenas, au corps diplomatique et consulaire, et à d’illustres actrices dont ils croyaient bien reconnaître les visages célèbres mais qu’ils