Aller au contenu

Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’osaient identifier, car elles s’appelaient entre elles Ripiapia et Bout-de-Bibi. Le délégué estonien aimait Molière parce qu’il a vengé l’Estonie de ses maîtres grossiers dans Monsieur de Pourceaugnac. Le délégué russe-blanc, pour la raison que pas un vers du Misanthrope n’est obscurci si l’on imagine que le franc scélérat avec qui Alceste a procès est Lénine lui-même. Un délégué pâle et qui toussait, délégué surtout de la Patrie des vrais malades, louait Molière d’avoir déconsidéré les faux remèdes, les faux médecins, les faux malades… Le délégué hollandais remerciait Molière d’avoir fourni à la Hollande la seule arme efficace contre ses deux tyrans, l’Espagnol et l’Hypocrisie : Le Tartuffe ; et, de Don Garcie de Navarre, des Amants magnifiques, du Cocu imaginaire, il n’était pas un délégué d’Asie ou d’Amérique qui ne tirât un vengeur de son pays et de son honneur. De sorte que tous mes compatriotes restaient Stupéfaits de découvrir que Molière était pour l’univers un libérateur plus grand que Vercingétorix pour la Gaule, et non moins effrayés de voir les vices les plus affreux s’échapper aujourd’hui de ces comédies que l’habitude et le jeu de la Comédie-Française leur avaient rendues anodines ; beaucoup d’entre eux, désormais, n’entrouvriront qu’avec crainte Mélicerte… Il faisait chaud… Chacun s’éventait avec un menu dont la première page était le portrait de Molière, mais au-dessous du portrait était imprimé le nom du convive, qui se regardait à la dérobée dans ce beau miroir… Le délégué danois, le délégué polonais, le délégué du Centre-Amérique remerciaient Molière d’avoir donné à leur pays le Molière danois, le Molière polonais