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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/181

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et le Molière guatémaltèque ; tandis qu’un délégué de l’Europe centrale expliquait que les premières traductions de Molière, dès le xviie siècle, étaient les polonaises, les tchèques, les serbes et les roumaines, et que c’était déjà l’Europe centrale d’aujourd’hui, avec sa Petite Entente, qui avait, voilà deux siècles, au-dessous de l’Europe alors apparente, acclamé Poquelin. Ainsi la Bible.

J’avais à ma droite une actrice blonde, si jolie qu’elle croyait, puisque j’étais placé à côté d’elle, que c’était moi l’organisateur du banquet et des tables, et qui ne pouvait parler à quelqu’un sans le toucher… Elle me touchait à chacun de ses mots, retirant la main en toute hâte dès que je parlais à mon tour… Pour répondre à mon voisin de gauche, elle passait le bras devant moi et le touchait, dédaignant salières et huiliers que tous les délégués des environs s’empressaient alors de lui tendre. Les tziganes s’installaient et annonçaient par un carton, pour débuter un peu officiellement, le seul de leurs bostons qui eût un nom de chef-d’œuvre français : le Cid Campeador. Ce titre émouvait ma voisine, car il lui rappelait un grand cheval bai sur lequel elle avait perdu les feux de sa première matinée. Mais ce fut bien autre chose quand elle reconnut en lui le boston favori d’un de ses anciens amants (le premier, disait-elle, mais elle ajoutait le mot « premier » à tout et elle avait prétendu tout à l’heure manger pour la première fois du riz), dont un délégué étranger, el sénor de Caldear, son cousin peut-être, justement portait le nom. El sénor marqués de Caldear n’avait pu, comme elle espérait, prononcer son discours à cause d’un rhume des foins, qui le