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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/203

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accepté de m’accrocher quelques semaines au balancier qui bat de la vie à l’éternité, avec arrêt au-dessus de la Jérusalem céleste, mais c’était jour de révolution, j’étais pressé ! Ses oreilles étaient rouge vif, minuscules, et il y avait trois trous percés dans chaque lobe. Je me demandais comment on avait pu arrêter le sang, chaque jour de forage… Ses jambes étaient les plus caressantes et les plus fidèles, après celles de la patrie.

— Vous êtes Français, dit-elle. Je viens vous demander service.

Belle naïveté qui unit le mot « français » et les mots « demander service » ! Lili David me rappelait ce monsieur à moustache bleue qui, du fond du salon vide de l’Orient-express s’avança vers ma table et me dit : Voulez-vous jouer aux cartes avec moi, je suis Grec ? On voyait que Lili ne connaissait pas mon oncle millionnaire, qui me laissa ne faire qu’un repas par jour pendant deux ans, faute de trente-cinq francs par mois ; ni Sainte-Beuve, qui donnait aux étrennes dix sous à sa concierge ; ni le directeur de Polytechnique, qui roulait dans un papier la somme sans pourboire qu’il glissait au taxi, et disparaissait avant que le cocher eût pu dérouler et compter. Un soir, par malheur pour lui, il avait pris une mauvaise clef.

— Je vais être arrêtée, continua Lili David. Nous avions préparé un mouvement que celui de votre ami Zelten annule. Les Zelteniens, à moins que ce ne soient les Kleisteins, à moins que ce ne soient les réactionnaires qui s’embusquent déjà derrière Dachau, vont me prendre. Je serai relâchée, mais on perd dans