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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/216

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Russie, et il me ramena. Le jour des deux ébénistes, 11, impasse Pochina, qu’une potence en plus c’est une table, un lit et quatre chaises en moins, et ils me ramenèrent. Tous d’ailleurs tenaient beaucoup plus à sentir et à me faire sentir que ma vie leur appartenait, qu’à me tuer. Quand ils étaient bien mis, je les flattais, je tâchais de les dégoûter cent pour cent de ma personne. Ah ! petit père, leur disais-je, je sais bien que mes orteils et mes oreilles t’appartiennent et que mes mains pourraient être ton verre à vodka. Alors, ils étaient dégoûtés et me ramenaient. Un jour, pour rire, ils désignèrent un sourd, je m’échappai juste au poteau. La dernière verste, je criais plus fort que si l’on m’égorgeait…

C’est ainsi qu’au matin, je fus réveillé, une main dans les mains de Lili, une autre comprimée dans les mains de Lieviné Lieven, par un vacarme. Protégés par le bruit de la machine à écrire, quelques prisonniers avaient comploté. Ils venaient de désarmer les gardes, et cherchaient maintenant à sortir par le vestiaire… L’escouade de secours les avait refoulés en tirant en l’air. Il ne restait plus, barricadé derrière l’estrade de l’ouvreuse, que le bon fou du docteur Lipp, déchaîné, et qui tirait à vraies balles sur les hideux personnages dont le docteur lui avait révélé les méfaits.

— Ah ! égoïstes, criait-il, vous faites tuer les Arméniens !

Il rechargea son fusil.

— Ah ! turbulents ! vous avez fait massacrer les Roumains de Temesvar !

Il tira, puis monta debout sur la barricade.