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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/24

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Maurice orange et ses Hawaï zébrés à Guillaume II en pleine attaque de Verdun, ont ressentie pendant cinq ans. Au moment où mon Allemagne avait sombré le plus profondément, il y avait toujours eu pour moi une bouée au-dessus du goufffre, qui m’indiquait sa place et qui était Zelten.

Zelten avait tous ces défauts superbes et voyants dont on ornait chez nous les Allemands jusqu’en 1870, et qu’il va bien falloir trouver un autre peuple pour porter, s’ils s’entêtent à vouloir être chauves, rapaces et pratiques : il avait des cheveux blonds en boucles, il sacrifiait chaque minute de sa vie à des chimères, il descendait habillé dans les bassins pour poser la main sur le jet d’eau ou remettre sous la bonne aile le bec du cygne endormi : il était l’Allemagne. Il ressemblait aussi peu que possible à ces écrivains modèles que la Wilhelmstrasse distribua dès 1914 sur ce qu’elle appelait les centres poétiques de l’univers, Boston, Syracuse ou Délos, de même qu’elle fit circuler des couples géants, amoureux et fidèles au Riggi, à Stockholm, à La Havane, dans les capitales sentimentales, afin de soutenir le prestige de la poésie et de l’amour allemands. Alors que ses compatriotes semblent maintenant avoir pour chaque ordre d’action ou de pensée une commande distincte, la boîte de vitesses en Zelten n’existait pas, et quand par exemple il devint sportif, tous les gestes qu’on accomplit nu et sans pensée se trouvèrent chez lui amalgamés aux actes qui commandent le plus de vêtements et de dévotion : il ne se baignait dans le Rhin qu’en plongeant du pont d’où Schumann s’était jeté ; il sautait à cheval le mur dont était tombé Beethoven