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Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/82

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Premier Péché

Loin d’Elle


« Sans toi, je ne puis vivre. »


« Monsieur,

« Nous avons ici une petite malade du nom de Lucette L., qui désire vous voir. Elle dit être de votre pays, et avant de mourir, serait heureuse de vous parler. Refuserez-vous la faveur d’une visite à une pauvre condamnée ?… »

L’écriture régulière et bien moulée était celle d’une religieuse : il le devina avant d’arriver à la signature. Tout au bas de la feuille, la malade avait tracé en grosses lettres inhabiles : « Venez. » Puis : « Lucette. » C’était tout, mais ce cri-là avait une éloquence qui remua le liseur ; c’était un peu celui du condamné qui appelle la grâce. Et le jeune homme se mit à songer à Lucette. Elle était née, là-bas, de parents pauvres, pêcheurs qui peinaient durement pour ne pas mourir de faim. La petite semblait une fleur pâle égarée dans ce coin noir de la maison paternelle, et la rudesse des décors faisait ressortir sa fine nature.

Maxime R., que les vacances ramenaient dans ce coin charmant du pays, s’arrêtait souvent à la vieille cabane pour causer avec Lucette, toujours surpris de la délicate beauté de la fille des pêcheurs. Elle n’avait rien d’eux : peau transparente teintée de rose, et des mains et des pieds si petits, si petits. Sa chevelure fauve était longue. Les parents dédaignaient presque cette princesse perdue sous leur toit, parmi les enfants robustes à peau basanée.

Elle folâtrait, insouciante de tout, n’aimant que la mer et les gros rochers du haut desquels elle la regardait écumer et mugir. Lucette la trouvait toujours belle, et ses roucoulements tendres comme ses rugissements furieux lui étaient une musique. La mer ! C’était toute la vie de Lucette.

***

Un soir, au détour d’une rue, passant distrait, Maxime R. se retourna au cri joyeux de : « Oh ! Monsieur Maxime. » C’était Lucette. Le jeune homme revit alors dans un éblouissement sa Gaspésie, ses galets et son fleuve. C’était quelque chose de sa première vie, cette mince fillette blonde. Il la questionna, surpris de