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Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/83

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Premier péché

la trouver là, et naïvement, d’un ton presque joyeux, toute fière, la pauvrette de parler du pays, elle raconta les malheurs de la famille : le père et la mère morts, les enfants partis ; et elle, une dame l’avait amenée ici. Puis elle dit sa nostalgie maintenant loin de tout ce qu’elle aimait, les regrets de sa vie errante, et avec un sanglot : « La mer, monsieur Maxime, la mer ! Je ne pouvais vivre sans voir le fleuve, un jour, je désertai, et me rendis sur le bord… je regardai bien, mais ce n’était pas la même chose… Non, ce n’était plus celle de là-bas. J’ai bien pleuré, il me semblait que l’on m’avait volé et depuis ce temps, mon cœur ne bat plus bien… on dirait qu’il est fêlé… Je voudrais bien la revoir, elle, n’y pensez-vous jamais, monsieur Maxime ? Et si vous vous rendez là-bas, en la regardant, vous songerez à Lucette qui pleure ici, — loin d’elle ! »

La pauvre exilée était partie, et, depuis, le jeune homme l’avait de nouveau oubliée. Voilà qu’une missive la lui rappelait. Elle l’avait bien dit, son cœur était fêlé, à la pauvre Lucette !

***

Dans les oreillers, la jolie tête de Lucette est perdue, et l’or de ses cheveux paraît plus roux sur la blancheur du linge. Elle sourit au visiteur et lui tend une petite main diaphane à laquelle les rudes travaux ont laissé la douceur du velours. Lui, la retient entre les siennes, repris d’une irrésistible sympathie pour cette idéale enfant qui n’avait eu qu’une passion et en mourait. Il aurait pleuré devant cette agonie calme, tant il trouvait horrible cette tristesse qui lui souriait, car Lucette parlait de là-bas, et dans ses yeux passaient des reflets d’émeraude.

En parlant de l’au delà, la pauvre enfant avait un petit air tranquille. Peut-être rêvait-elle de funérailles mystiques, dans le linceul des vagues ? Est-ce qu’elle savait bien ? Non, elle s’en allait, et dans ses désirs du parfait bonheur, il y avait sa belle mer bleue de là-bas… on la lui donnerait au ciel ! Maxime R. écoutait cette petite voix brisée dire sa dernière romance et il éprouvait un apaisement d’entendre un si doux chant du cygne. Lucette avait bien la blancheur du bel oiseau pur.

Tous les jours maintenant il donnait une heure à Lucette. Le regard de la petite malade rayonnait à son arrivée, puis se voilait au départ.

— Que vous êtes bon, lui dit-elle un jour comme il s’en allait ; sans vous je serais morte plus tôt, mais votre charité me retient sur terre. Avec vous seul je puis causer, car les autres ne me comprendraient pas, — ils ne la connaissent pas…

Elle, toujours elle !