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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/111

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gements, qui fussent à la fois plus durables et plus avantageux. On fut conduit à l’idée d’établir des pensions par la nécessité, généralement sentie, d’enseigner le français d’une manière vivante. Mon père avait élevé un jeune homme, qui avait été chez lui domestique, valet de chambre, secrétaire, enfin peu à peu factotum. Il se nommait Pfeil. Il parlait bien le français et le savait à fond ; il s’était marié, et ses protecteurs durent songer à lui faire une position : ils eurent l’idée de lui faire établir une pension, qui devint par degrés une petite école, où l’on enseigna tout le nécessaire et même, à la fin, le latin et le grec. Grâce aux relations que Francfort avait au loin, de jeunes Anglais et Français furent confiés à cette institution, pour apprendre l’allemand et faire leur éducation. Pfeil, qui était dans la fleur de l’âge, et doué d’une activité et d’une énergie merveilleuses, présidait à tout d’une manière digne d’éloges ; et, comme il n’était jamais assez occupé, et qu’il fallait à ses élèves des maîtres de musique, il se livra lui-même à cet art, et il étudia le clavecin avec tant de zèle, que lui, qui de sa vie n’avait posé sa main sur le clavier, il parvint bientôt à jouer très-joliment. Il semblait avoir adopté la maxime de mon père, que rien n’est plus propre à encourager et animer les jeunes gens que de se refaire soi-même écolier après un certain nombre d’années, et, dans un âge où il est très-difficile d’acquérir de nouveaux talents, de rivaliser, par le zèle et la persévérance, avec de plus jeunes, plus favorisés par la nature.

Ce goût de Pfeil pour le clavecin le conduisit à s’occuper de l’instrument, dans l’espérance de se procurer les meilleurs possible. Il entra en rapport avec Friederici, de Géra, dont les instruments avaient une grande célébrité ; il en prit un certain nombre en commission, et il eut alors la joie de voir, non pas un clavecin, mais plusieurs, établis dans sa maison, de pouvoir s’exercer dessus et se faire entendre. Son ardeur éveilla dans notre maison un nouveau zèle pour la musique. Mon père resta toujours en bons rapports avec lui, bien qu’ils ne fussent pas toujours d’accord. Nous achetâmes aussi un grand clavecin de Friederici. Je m’en servis peu, et je m’en tins au mien ; mais il devint pour ma sœur un véritable supplice, car, pour faire honneur au nouvel instrument, elle dut consacrer chaque jour quel-