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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/65

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découverte par les artistes. Leroy, un grand brun avec une grosse voix ; il est l’ennemi des prêtres, des empereurs, des rois et des romantiques, et cache, sous des apparences de truculence et de férocité physique, une parfaite bonne enfance et des idées pas mal prud’hommesques. Sa femme, fine, délicate, nerveuse, avec de beaux grands yeux noirs, semble une sorte de réduction de Mme Roland dont elle a l’exaltation républicaine, mais dans un petit corps plein de grâce parisienne, toutefois de la grâce un peu rêche de la bourgeoise distinguée. Le ménage Leroy est le plus uni des ménages… sauf quelques discussions entre les conjoints à propos des difficultés grammaticales, qui sont un des divertissements aimés et préférés du couple.

Leroy a choisi pour son tableau du Salon prochain, un chemin creux, et, couchés par terre, dans l’ombre, nous passons une partie des journées à l’entendre parler de Jacques, de Millet, etc.

Jacques, le fils d’un maître d’école de Chalon-sur-Saône… Cinq ans, il a été militaire… Au siège d’Anvers, il est passé en revue par le duc d’Orléans qui remarque l’intelligence de sa figure parmi toutes les brutes qu’il a sous les yeux : « Voltigeur, êtes-vous content de la nourriture ? — Non, Monseigneur. — Enfin, vous êtes heureux ? — Non, Monseigneur. » Le duc se tournant vers un officier : « Cet homme-là a de l’esprit, il faudrait en faire quelque chose, le nommer caporal. — Monseigneur, je ne suis pas ambitieux ! »