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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/134

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Je passe le pont-levis. Le soleil fondu dans le brouillard fait ressembler le ciel à une fumée d’incendie, et derrière moi, les grandes lignes des fortifications, dégagées de toute construction, apparaissent comme des falaises noyées dans la brume du matin, avec leurs silhouettes de douaniers.

Toutes les maisons abandonnées, gardent des écriteaux de location, ô ironie ! Dans ces maisons fermées et vides, une fenêtre devenue un atelier de choumaques, de rapetasseurs de chaussures humaines ; une autre fenêtre, tout encombrée de viande de cheval, de boudin de cheval, de tripes de cheval, d’où se détache de la cheminée flambante une mégère horrible, qui vend par la baie ouverte, aux soldats de la ligne, quelque chose sans nom et qui pue.

On traverse, tous les cent pas, des barricades, et alors des rencontres sur la route d’hommes et de femmes, portant, tous à la main, quelque chose, ne fût-ce qu’un bout de planche arrachée ; des rencontres d’affreux gamins, culottés de la mise bas d’un pioupiou, et coiffés jusqu’aux yeux du bonnet de police impérial ; des rencontres de figures de misère qui donnent froid ; des rencontres de vieilles haillonneuses, dont la clef rouillée de leur taudis, leur bat dans les jambes, avec un bruit de fer contre du bois.

Passé l’église de Clichy, me voici au milieu de jardins de maraîchers, n’ayant plus de palissades, d’appentis, où toutes les lattes à la hauteur de la main ont été arrachées, entre des pieux qui sont tout ce qui reste des toits de planches qu’ils soutenaient.