Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette dévastation a pour horizon des squelettes de grands peupliers détachés dans le ciel, sur une nuée rose autour d’un soleil cerise, au milieu de ramures ressemblant aux arborisations d’une agate.

La route continue, continue, continue, pour cesser tout à coup, comme si le paysage était coupé net, entre une usine lézardée, étayée par des poutrelles, et un restaurant en planches peintes couleur de brique, et où se lit : École de natation du pont.

Là, la vue s’arrête devant un grand brouillard jaune, s’élevant de la Seine qu’on ne voit pas, et dont se détache une sentinelle, qui vous crie : « On ne passe pas ! »

Je prends à droite un chemin noir de charbon de terre, et je flâne sous des arbres rabougris de vergers, où des hommes lèvent des carrés de gazon, qu’ils chargent sur des charrettes. Dans les terrains vagues, au delà, semblables à des bataillons de petits soldats de plomb, des gardes nationaux exécutent des marches et des contre-marches. De tous côtés, au-dessus des clôtures, des képis et des baïonnettes de sentinelles ; de tous côtés, des murs percés de trous meurtriers, laissant passer de petits morceaux de ciel ; et tout au loin, par un sentier qui chemine entre des pans de murailles, glissées à terre, se traîne lentement une vieille femme, accablée sous le poids du bois qu’elle porte, comme une fourmi sous un fétu.

À la recherche de la Seine, je prends un chemin contournant des usines, des fabriques silencieuses