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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/136

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et noirâtres, de ce ton des choses éternellement enveloppées de fumée, et parmi lesquelles une seule a un grondement, avec jet de vapeur par un soupirail de cave. J’arrive enfin à une amidonnerie, dont je vois, par le battant de la grande porte, des hommes abattre des grands arbres, et j’ai devant moi une redoute qui a des embrasures pour trois canons, et la Seine, comme Corot pourrait la peindre, à la fin d’une journée d’hiver.

Toujours un ciel rose, et les maisons serrées de l’autre rive de la Seine, pareilles à des blancs de dominos, dans les masses violettes des arbres, et l’eau jaune avec un reflet du ciel qui la saumone, et l’île en face, complètement rasée, avec un peu de bleuâtre dans la forêt de rejets de ses broussailles.

D’un côté, le pont du chemin de fer d’Asnières, un fil noir dans l’air, de l’autre le pont de Clichy, le tablier d’une de ses arches tombé dans l’eau.

Sur la route dévastée, sous ce ciel fantastique, dans ce paysage aux couleurs, qui ne sont pas les couleurs d’un jour réel, mais des couleurs, qui semblent des colorations d’opale, vues au crépuscule, la prostitution se promène beaucoup.

Il y a de la fille à soldat de toutes les catégories, et je marche derrière une créature, à laquelle un jeune lignard donne le bras. Elle est en cheveux, les cheveux tignonnés en couronne ou plutôt en moule de pâtisserie, au haut de la tête. Elle porte une robe de laine noire à longue queue, dont la taille est sous les seins, avec une pèlerine à la ruche qui lui