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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/152

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Je veux, avant qu’il ne disparaisse, peut-être, m’y promener toute la journée, et me voici ce matin, dans le chemin tournant, surmonté de l’homme à la lunette, jetant aux passants : « Qui veut voir les Prussiens, on les voit très bien, messieurs, rendez-vous compte ? » À tout moment il faut sauter des grands fossés, des remblais garnis de fascines… La porte du Pré Catelan est ouverte, des canons sont rangés sur sa pelouse, et les artilleurs font signe de passer au large. Du Pré Catelan, je pousse au Jardin d’Acclimatation, par ce joli chemin côtoyant un ruisseau sous des arbres verts. Là, une bande d’enfants, de femmes, brise, casse ces pauvres arbres, qui restent, après leur passage, avec des arrachis blancs, des branches pendantes à terre, des tortils de bois révolté : un saccagement qui dévoile l’amour de la destruction de la population parisienne. Un vieil homme de la campagne qui passe par là, et qui aime les arbres, comme la vieillesse, lève les yeux au ciel, douloureusement.

Dans la dévastation générale, la grande île seule, préservée par l’eau qui l’entoure, garde intacte et sans blessures, ses arbres, ses arbrisseaux, sa propreté anglaise. Au bord du lac, près de ce bord si couru, se promène seul, un long prêtre maigre, lisant son bréviaire.

Je me hâte pour l’heure de cinq heures, pour l’heure de la rentrée.

La pelouse, qui va de la butte Mortemart à la porte de Boulogne, est toute couverte de mobiles,