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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/153

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qui vont y camper la nuit. C’est pittoresque, toute cette multitude bleuâtre, toutes ces petites tentes blanches, soldats et tentes se dégradant jusqu’en bas, en homuncules et en petits carrés microscopiques, au milieu de fumées de popotes, qui font un vrai nuage à l’horizon, et d’où se détachent les grands arbres des côtés, avec des tournures d’arbres de portants de coulisses, et où perce, tout au fond, un rien de l’architecture de Saint-Cloud, lumineusement diffuse, comme un édifice d’apothéose, au moment de la tombée de la toile.

Cinq heures sonnent. On se presse. On se bouscule. Il y a un encombrement de caissons d’artillerie. Un pauvre vieil homme prend peur, à côté de moi, sur le pont-levis, et tombe dans le fossé. Je le vois remonter sur les épaules de quatre hommes, inerte, la tête bringue-ballante. Il s’est cassé la colonne vertébrale.

Lundi 28 novembre. — Cette nuit je suis réveillé par la canonnade. Je monte dans une chambre d’en haut.

En le ciel sans étoiles, coupé par les ramures des grands arbres, c’est une succession, depuis le fort de Bicêtre jusqu’au fort d’Issy, dans toute l’étendue de cette grande ligne hémicyclaire, c’est une succession de petits points de feu, s’allumant comme des becs de gaz, suivis de retentissements sonores. Ces grandes voix de la mort au milieu du