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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/154

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silence de la nuit : ça remue… Au bout de quelque temps, des hurlements de chiens se sont joints aux bronzes tonnants ; des voix peureuses de gens réveillés se sont mises à chuchoter ; des coqs ont lancé leurs notes claires. Puis canons, chiens, coqs, hommes et femmes, tout est rentré dans le silence, et mon oreille, tendue au dehors de la fenêtre, n’a plus perçu, au loin, tout au loin, qu’un bruit de fusillade, — ressemblant au bruit mat que fait une rame, en touchant le bois du bateau.

L’étrange rassemblement aujourd’hui, que la composition d’un omnibus ! que d’hommes de guerre de toutes les espèces et de toutes les façons ! Je suis à côté d’un aumônier du Midi, aux yeux à la fois vifs et doux, qui me dit que depuis la fermeture des portes, le moral de l’armée et de la mobile est complètement changé, que le découragement et la démoralisation étaient à tout moment apportés par les maraudeurs et les filles, allant des Français aux Prussiens, et des Prussiens revenant aux Français, mais qu’aujourd’hui ils ont confiance, qu’ils sont disposés à bien se battre.

Je traverse le Luxembourg. Près du grand bassin se voit une voiture chargée de tonneaux, et à la margelle de pierre, un rassemblement de gens en manches de chemise, et d’enfants penchés sur l’eau. Je m’approche. Des hommes agenouillés tirent une immense seine, dont les lièges frôlent les cygnes, qui s’élèvent sur l’eau, en ébats effarouchés et en demi-envolées colères. On pêche le bassin pour nourrir