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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/244

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trace du pétrole est encore visible, on lit écrit à la craie : Français, souvenez-vous ! Vengeance !

L’hôpital fondé par Marie-Antoinette n’a plus de toit. À côté, dans un pensionnat de jeunes demoiselles, les lits du dortoir, déjetés, disloqués, et recroquevillés par le feu, ressemblent à une broussaille de fer.

Tout en haut de Saint-Cloud, près de l’église, un vieillard, la tête nue, les cheveux blancs au vent, l’air délirant, crie à ceux qui passent : « Vous pouvez dire, que c’est les Prussiens qui ont mis le feu avec de l’huile de pétrole et des torches… Ah ! ce n’est pas à moi qu’on peut dire non ! »

Le palais, avec ses pauvres statues de femmes qui ont servi de cible, ses pauvres femmes blessées aux seins par les balles prussiennes, n’est plus que la façade meurtrie d’une ruine : une ruine à conserver, comme l’Allemagne a conservé Heidelberg, une ruine à entourer de lierre et de plantes grimpantes, montant le long de ses pilastres, de ses bas-reliefs, de ses marbres recuits et éclatés, — une ruine dont la vue et la légende entretiendront, comme la ruine du Palatinat, la juste haine et le désir enragé de la vengeance.

Samedi 18 mars. — Ce matin, la porteuse de pain annonce qu’on se bat à Montmartre.

Je sors et ne rencontre qu’une indifférence singulière pour ce qui se passe là-bas. La population en a