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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/249

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Lundi 20 mars. — Trois heures du matin. Je suis réveillé par le tocsin, le tintement lugubre, que j’ai entendu dans les nuits de juin 1848. La grande lamentation du bourdon de Notre-Dame plane sur les sonneries de toutes les cloches de la ville, dominant le bruit de la générale, dominant les clameurs humaines qui semblent appeler aux armes.

Quel renversement de toute prévision humaine ! Et comme Dieu semble rire et se moquer, dans sa grande barbe blanche de vieux sceptique, des opérations de la logique d’ici-bas ! Comment s’est-il fait que les bataillons de Belleville, si mous devant l’ennemi, si mous devant les bataillons de l’ordre du 30 octobre, ont-ils pu s’emparer de Paris ? Comment la garde nationale de la bourgeoisie, si décidée à se battre, il y a quelques jours, s’est-elle dissoute, sans tirer un coup de fusil ? Tout, dans ces jours, semble arriver à plaisir pour montrer le néant de l’expérience humaine. Les conséquences des choses et des événements mentent. Enfin, pour le moment, la France et Paris sont sous la main et la coupe de la populace, qui nous a donné un gouvernement, uniquement fabriqué avec ses hommes. Combien cela durera-t-il ? On ne sait. L’invraisemblable règne.

Il y a au chemin de fer beaucoup de partants pour la province, et la rue du Havre est pleine de bagages, apportés par des voitures à bras, à défaut de chevaux.

De temps en temps, passe un officier d’état-major fantaisiste du nouveau gouvernement, emporté par