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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/250

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le galop de son cheval, dans une vareuse rouge, qui fait retourner les passants. Et les cohortes de Belleville, en face de Tortoni, foulent notre boulevard, passant au milieu d’un étonnement un peu narquois, qui semble les gêner et leur faire regarder, de leurs yeux vainqueurs, le bout de leurs souliers, aux chaussettes rares.

Vraiment oui, il semble que ce qui est, en dépit de la blancheur gouvernementale des affiches l’attestant sur tous les murs, n’est pas arrivé. Et tout éveillé, l’on marche avec le sentiment d’un dormeur en proie à un mauvais rêve, et qui sent qu’il rêve.

Mardi 21 mars. — À tout moment le battement précipité du rappel. L’aspect des groupes a changé ! L’irritation fermente. La parole s’exalte, les coups de fusil sont proches. Les bataillons bellevillais commencent à être engueulés sur le boulevard. On est entouré comme du clapotement d’une grande mer soulevée, qui va se déchaîner dans une tempête.

D’une fenêtre, je vois le passage d’une imposante manifestation, précédée d’un drapeau portant : Vive la République ! Les Hommes d’ordre.

Dîner chez Brébant. Quelqu’un raconte quelque chose de bien caractéristique, à l’endroit du nouveau gouvernement. Après la destruction des dossiers de la police, la première occupation de ces messieurs a été d’anéantir le registre de l’inscription des filles.