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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/270

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avec le tour gai, habituel à la parole des internes : « Les blessures sont terribles, dit l’un des jeunes gens, qui a des ciseaux et une pince, passés dans la première boutonnière de sa vareuse. Nous avons dix-huit étripés dans le petit pavillon là-bas… c’est de la bouillie humaine… Il y en a qui ont le devant tout entier de leur capote, dans le ventre… d’autres ont les jambes broyées et enflées, qu’on dirait de vraies tulipes… L’autre jour, on en a apporté un, qui avait la mâchoire descendue au milieu de l’estomac… un masque antique… et l’infirmier, concevez-vous, qui s’échignait à lui demander son nom ! »

Un second ambulancier parle d’un blessé qu’on a retourné, et ouvert par derrière, comme une armoire, à l’effet d’étudier le curieux trajet d’une balle de chassepot.

« Tenez, un intéressant bonhomme qui passe là, avec sa calotte noire, — nous dit l’ami de Bracquemond, — c’est l’homme qui a quarante sous, pour déshabiller les morts… Chez lui, c’est une vraie passion… il ne couche dans le pavillon que lorsqu’il y a l’espérance d’en racoler… il faut voir de quel œil amoureux il vient regarder, épier ceux qui vont claquer… Ah ! une voiture, voici des blessés ! »

Il disparaît et reparaît, ramenant bientôt un homme qu’il soutient, un homme, la tête entortillée de bandes, le visage plaqué de plâtre, comme un gâcheur : « En voilà un, qui a de la chance, — s’écrie l’ami de Bracquemond, rentrant quelques minutes après, — il était dans le poste de la porte Maillot,