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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/271

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quand un obus a éclaté, et tout effondré. Eh bien, mon homme est contusionné partout, et n’a pas une blessure… À ce qu’il paraît, ajouta-t-il, les Versaillais sont entièrement maîtres de Neuilly, et le rempart commence à devenir un endroit d’écrabouillement… Puis on dit que les fédérés commencent à manquer de projectiles. »

Bracquemond est allé faire un tour dans une salle de blessés. Il rentre très pâle. Il vient de voir des tronçons d’hommes, dont la vie n’est plus qu’un battement de paupières.

Dans ce moment apparaissent quatre corbillards, flanqués de drapeaux rouges, et des délégués de la Commune entrent réclamer des cadavres, pour servir d’escorte au mort Bourgoin. On se dépêche de leur clouer, dans des bières, les premiers venus. Les délégués sont pressés. Ils ne les prennent pas tous. L’interne nous en découvre un, resté là. Un homme dont un obus a enlevé la moitié de la figure, et presque tout le cou, avec le bleu et le blanc d’un de ses yeux coulé sur une de ses joues. Il a encore la main noire de poudre, levée en l’air, et contractée, comme si elle serrait une arme.

Là-dessus, nous partons. Au moment où l’on nous ouvre la barrière, une femme dit au gardien, d’une voix dolente : « — Monsieur, vous avez mon mari, parmi les morts ? — Comment s’appelle-t-il ? — Chevalier. — On ne connaît pas ça… Allez à Beaujon, à Necker. »

J’entre dans un café, au bas des Champs-Élysées,