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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/288

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Quelle partialité dans les hommes de parti ! Dire que j’entendais, ces jours-ci, des Français déclarer qu’ils préféreraient l’occupation prussienne à l’occupation versaillaise ! Ce sont les mêmes hommes qui s’indignent contre les émigrés. Ceux-ci, cependant, avaient, pour appeler l’étranger à leur aide, les circonstances atténuantes de la confiscation de leurs propriétés, et du cou coupé de leurs femmes, de leurs sœurs, de leurs filles.

Des corbillards qui vont chercher des morts, parcourent le boulevard, ornés de leurs huit drapeaux rouges flottant au vent, et enveloppant dans leurs plis sinistres, les trognes macabres des cochers.

À la tombe de mon frère, à Montmartre, la fusillade et la canonnade semblent toutes proches et comme dans l’intérieur de Paris. Sur les hauteurs du cimetière, que les morts russes et polonais ont choisi pour lieu de leur sépulture, des femmes, couchées sur les pierres des tombes, écoutent, se soulevant pour voir.

Je retrouve la canonnade — elle est terrible aujourd’hui — sur la terrasse des Tuileries, au bord de l’eau. De temps en temps y monte, dérangé de son bain de soleil par le bruit, un rentier en casquette, que fait redescendre presque aussitôt à la « Petite Provence » l’éloquence guillotineuse d’un garde national aviné.

On ne peut pourtant pas s’en aller dans ce moment, où nos amis les ennemis, semblent se rapprocher tellement, qu’on se demande s’ils ne sont pas entrés,