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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/289

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et qu’on s’attend à voir, dans la débandade des gardes nationaux, apparaître sous l’Arc de l’Étoile, au milieu des coups de fusil, les têtes des colonnes versaillaises. Mais au bout de tout ce bruit effroyable rien ne paraît, et l’on s’en va en disant : « Allons, ce sera pour demain. » Et ce demain n’arrive jamais !

Samedi 22 avril. — Ici à Paris, je me sens vivre, comme par un voyage, dans une grande ville de l’étranger, où je serais arrêté par un contretemps quelconque. J’ai les heures vides, ennuyeuses, inoccupées, du séjour en camp volant.

Quelques misérables petits pots de verdure, au Marché aux Fleurs, que des ouvriers emportent en mordant dans leur pain.

Je vais au Jardin des Plantes avec l’idée d’une reconnaissance des lieux. Je veux voir s’il n’y aurait pas une cabane de cerf ou de gazelle vacante, et si je ne pourrais pas corrompre un gardien, pour y venir coucher la nuit, dans le cas où la réquisition militaire ou l’inimitié du tout-puissant Pipe-en-Bois, viendraient à me rechercher et à me découvrir rue de l’Arcade.

Le Jardin des Plantes a la tristesse de Paris. Les animaux sont silencieux. L’éléphant, abandonné de son public, indolemment appuyé à un pan de mur, mange son foin, comme un homme tout à coup condamné à dîner seul. L’ennui des féroces s’y étale dans des poses lasses.