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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/321

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nationale vous tient à distance, présente un vague et confus tas de plâtre et de débris calcinés. Dans les détritus, à la porte des baraquements, les femmes cherchent, avec le bout de leurs ombrelles, des balles, qui étaient hier si nombreuses, que, selon l’expression d’un passant, la terre du Champ-de-Mars ressemblait à un champ, « où auraient pâturé des moutons ».

Comme si tout ce que nous souffrons n’était pas suffisant, voici qu’il apparaît, dans les journaux, la perspective d’une occupation prussienne.

Vendredi 19 mai. — Des journées interminables, que je promène çà et là : le trouble et la fatigue de ma vue ne me permettant pas la distraction d’un livre.

On ne rencontre dans les rues que des gens qui monologuent tout haut, semblables à des fous, des gens de la bouche desquels sortent des mots : désolation, malheur, mort, ruine, — tous les vocables de la désespérance.

Dimanche 21 mai. — Dans mon désœuvrement, mes pas me portent à l’ambulance des Champs-Élysées.

L’ambulance s’est agrandie de tout le concert Musart, dont l’orchestre est devenu une lingerie, et dont l’allée tournante a disparu sous des tentes, où s’aperçoivent des figures hâves dans des lits. Beau-