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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/323

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Je me rappelle, dans le moment, les petits groupes de gardes nationaux, que je viens de rencontrer, rue Saint-Honoré, défilant comme à la débandade. Mais, l’on a été si souvent trompé, si souvent déçu, que je n’accorde aucune confiance à la bonne nouvelle, et cependant je suis remué au fond de moi, et agité comme par un rien d’espérance. Je me promène longtemps, en quête de renseignements, d’éclaircissements… rien, rien, rien. Les gens, qui sont encore dans les rues, ressemblent aux gens d’hier. Ils sont aussi tranquillement consternés. Aucun ne semble informé du cri jeté sur la place de la Concorde. C’est encore un canard.

Je rentre enfin… Je me couche désespéré. Je ne puis dormir. Il me semble entendre, à travers mes rideaux hermétiquement fermés, une rumeur lointaine. Je me lève… J’ouvre la fenêtre. Non, c’est sur le pavé de rues éloignées le pas régulier de compagnies qui vont en relever d’autres, ainsi que cela se passe toutes les nuits. Allons, c’est un effet de mon imagination. Je me recouche… Ah ! mais cette fois c’est bien le tambour, c’est bien le clairon ! Je ressaute à la fenêtre… Le rappel bat dans tout Paris, et bientôt sur le tambour, sur le clairon, sur les clameurs, sur les cris : « Aux armes ! » montent les grandes ondes tragiquement sonores du tocsin, qui se met à sonner à toutes les églises — bruit lugubre qui me remplit de joie, et sonne pour Paris l’agonie de l’odieuse tyrannie.