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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/327

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Nous montons au belvédère, où par le clair soleil qui illumine l’immense bataille, la fumée des canons, des mitrailleuses, des chassepots, nous fait voir une série d’engagements s’étendant depuis le Jardin des Plantes jusqu’à Montmartre. À l’heure qu’il est, c’est à Montmartre que semble se concentrer le gros de l’action. Au milieu du grondement lointain de l’artillerie et de la mousqueterie, des coups de fusil à la détonation très rapprochée nous font supposer que l’on se bat rue Lafayette et rue Saint-Lazare.

Un sinistre caractère, que le caractère de ce boulevard désert, avec ses boutiques fermées, avec les grandes ombres immobiles de ses kiosques et de ses arbres, avec son silence de mort, coupé de temps en temps par une sourde et fracassante détonation… Quelqu’un croit apercevoir, avec une lorgnette de spectacle, le drapeau tricolore flottant sur Montmartre. À cet instant, nous sommes chassés de notre observatoire de verre, par le sifflement des balles qui passent à côté de nous, faisant, dans l’air, comme des miaulements de petit chat.

Quand nous descendons, et que nous regardons au balcon, une voiture d’ambulance est sous nos fenêtres. L’on y monte un blessé qui se débat, répétant : — « Je ne veux pas aller à l’ambulance. » Une voix brutale lui répond : — « Vous irez tout de même. » Et nous voyons le blessé se soulever, ramasser ses forces défaillantes, lutter une seconde contre deux ou trois hommes, et retomber dans la