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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/334

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des encoches comme la tête d’un enfant. La porte est percée de vingt petits ronds de balles, du gros rond d’un biscaïen, et un morceau manque, arraché par le pic d’un fédéré, qui s’essayait à la forcer.

Dans la maison, on marche sur les plâtras et les fragments de glaces mêlés aux éclats d’obus et aux balles, recroquevillées comme des sangsues, qu’on a fait dégorger dans du sel. Au premier une balle de chassepot, — je crois le cas extraordinaire, — a enfilé la maison, traversant une persienne, un matelas, une cloison, une portière flottante, une porte couverte d’une natte de Chine. Mais le vrai dégât est au second. Un obus, un tout petit obus, l’un des derniers tirés par les Versaillais, dans la nuit de dimanche, lorsqu’ils étaient déjà maîtres du Point-du-Jour, a brisé la poutre d’angle de la maison, passé par le pied du lit de Pélagie, traversé la porte de sa chambre, éclaté dans le parquet du palier, en mettant en charpie toutes les portes du second. Enfin, on pouvait être plus malheureux. Tout ce qui m’est précieux a été épargné, et le désastre de mes voisins a de quoi me consoler de mes pertes.

Pauvre jardin, avec son gazon, semblable à la grande herbe d’un cimetière abandonné, avec ses arbustes à feuilles luisantes, tout poussiéreux de plâtre, tout noirs de papier brûlé, avec ses grands arbres aux branches brisées, mettant leur feuillage de papier brouillard dans la verdure d’un arbre vivant, avec cette excavation au milieu de la pelouse