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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/353

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À Saint-Denis, des casques prussiens, et tout le long du chemin de Saint-Gratien, à tout coin, la vue de l’envahisseur. On aperçoit partout des soldats, habillés de toile blanche, promener leur balourde gaieté, des domestiques mener à la main des chevaux battant la terre française de leurs ruades, et partout dans les maisons, dans les jardins résonne le ia vainqueur.

Enfin, me voici à Saint-Gratien. Le pavillon de Catinat, où nous habitions, semble une caserne. Des têtes, coiffées de bérets, sont à toutes les fenêtres ; une guérite noire et blanche se dresse contre la porte, et dans la grande allée qui mène au château, sont rangés des fourgons d’ambulance.

 

La princesse me reçoit avec cette animation qui lui est particulière, et qui se traduit dans l’action qu’elle met dans son serrement de main. Elle m’entraîne dans une allée du parc, et se met à me parler d’elle, de son séjour en Belgique, de sa souffrance dans l’exil. Elle me dit qu’elle a été longtemps, sans pouvoir se rendre compte de ce qui se passait en elle, là-bas, mais qu’elle le sait maintenant : elle y était présente de corps, mais tout à fait absente d’esprit, et si bien, ajoute-t-elle, qu’elle croyait se réveiller, tous les matins, dans son hôtel de Paris. Comme je la félicite sur la gaieté de son moral : « Ah ! ça n’a pas toujours été comme ça, il y a eu un mauvais moment, un moment bizarre pendant lequel, c’est singulier, j’avais les mâchoires si serrées par