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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/376

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— « Montrez votre poitrine, vos bras. » Et sur toutes ces parties mises à nu, l’œil du commissaire semblait chercher les marques d’un tatouage. Enfin il remonta à son visage qu’il fixa longtemps, et il finit par dire : — « Non, non, l’autre était plus grêlé ! »

Était-ce une ressemblance physique avec un des assassins ? Était-ce une ressemblance d’écriture avec des papiers compromettants ? Était-ce enfin la ressemblance de son nom, avec un nommé Outhier, un membre de la Commune de Lyon ?

Le troisième jour, au soir, dans un rang de cinq prisonniers, et le bras ficelé au bras de l’Irlandais Olready, il partait pour l’Orangerie de Versailles. En route, ayant parlé un peu haut, dans une petite altercation avec Olready, un officier les faisait sortir des rangs, et marcher vers un mur, où il s’attendait à être fusillé, quand le commandant criait : « Faites rentrer ces hommes, nous n’avons pas le temps de nous amuser ici, on les fusillera à la gare ! » À la gare, on les oubliait, et ils montaient en chemin de fer.

Un type singulier et bizarre, cet Olready, un commis voyageur en révolution, un apôtre de fénianisme, un agent de l’Internationale, un misérable, être maladroit, laid, avortonné, mais possesseur d’un flegme merveilleux, d’une imperturbabilité héroïque, et répétant, avec un accent anglais tout à fait comique : « Très curious ! très curious ! » aux moments les plus critiques, à l’instant où il croyait qu’on allait le fusiller.