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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/377

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Les deux amis étaient jetés dans l’Orangerie, au milieu des milliers de prisonniers remplissant l’immense cave, toute pleine d’une poussière blanche, que le pas de chacun soulevait, faisant des nuages d’albâtre, dans lesquels tout le monde toussait à cracher ses poumons.

Les jours passés là, s’écoulaient dans une vague inquiétude d’être fusillés, d’un moment à l’autre, crainte à laquelle succédait, dans les esprits, la menace moins terrible de la déportation. Et là, je retrouvais tout à fait mon Anatole. L’idée de la déportation fut accueillie par sa cervelle amoureuse de voyage, comme un des moyens les plus simples pour faire des milliers de lieues sans payer, et de réaliser enfin ses rêves de pays exotiques.

Aussi, quand, au bout de deux ou trois jours, on demanda ceux qui voulaient partir, se fit-il inscrire de suite avec Olready. L’innocent croyait être transporté immédiatement en Calédonie… Il part, parqué avec ses compagnons, dans des wagons à bestiaux, si bien calfeutrés contre les évasions, que, vers la fin des quarante-huit heures que dura le voyage de Cherbourg, le pain s’aigrissant dans la fermentation de l’humanité, entassée là, ils étouffaient et étaient forcés de se coucher, tour à tour, par terre, et de chercher un peu d’air respirable par les fentes du plancher.

Aussitôt arrivés, on les menait à bord du Bayard, où, avant d’entrer, on les dépouillait de tout, ne leur laissant que leurs chemises et des souliers.