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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/75

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un cône noir de cyprès ; en face et à droite, des cheminées de fabriques, des coteaux, comme lavés d’une blanche eau de gouache. Des ombres aux tons violets de plombagine, des lumières d’argent. Un morceau de nature qui se détache sur les couleurs crues du drapeau tricolore, flottant sur la barrière de bois, ainsi qu’un paysage, dessiné dans un métal en fusion, et me rappelant ce que je voyais dans une pelle rouge, quand tout gamin, j’y faisais fondre un morceau de plomb.

Je regagne Paris sur l’impériale de l’omnibus américain, obligé de s’arrêter et de longtemps stationner devant la manutention, tant le quai est encombré de camions, chargés de caisses de biscuits, d’omnibus bondés de pains jusqu’au toit et qu’on voit par les vitres fermées, de chariots de toutes sortes écrasés de tonneaux de farine, se pressant à l’entrée de la gigantesque usine du manger de nos soldats.

Rue de Rivoli, un joli détail : dans le bruit fracassant du passage d’une batterie d’artillerie, un artilleur caressant le bronze d’un canon, d’une main amoureuse, qui semble peloter de la chair aimée.

Paris est agité, Paris est inquiet de sa pitance ordinaire. Çà et là des petits groupes féminins très gesticulants, et je tombe rue Saint-Honoré, au coin de la rue Jean-Jacques-Rousseau, dans un rassemblement furieux qui heurte les volets d’un épicier. Une femme me conte que c’est un épicier ayant vendu un hareng saur, 50 centimes, à un mobile, qui l’a fiché au bout d’un bâton, avec cette inscription : « Vendu