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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/82

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je continue à marcher, perdu dans les rêves bêtes que fait l’imagination, aux mots vagues des passants, quand j’entends un homme arrêté sur le quai dire, à un autre : « Alors, ceux-ci vont encore nous tomber sur le dos ! » Cette phrase me réveille, et me donne immédiatement le soupçon que Strasbourg s’est rendu : pressentiment dont j’ai la confirmation, en achetant un journal sur le boulevard.

Mardi 3 octobre. — À travers le grillage du fond de mon jardin, je vois, ce matin, les mobiles bretons, campés dans une allée de la villa, lire leurs prières, dans les petites Semaines saintes, qu’ils tirent de leurs sacs.

 

Depuis deux jours, je ne sais, le souvenir de mon frère se réempare de mon esprit, un peu distrait de lui par l’horreur du moment, la menace de l’avenir, — et ce souvenir m’est présent et cruel comme aux premiers jours.

 

Cette beauté particulière d’un bel automne, ces arbres carminés, cette gaze bleue du ciel, ces grandes ombres, molles et noyées, ce brouillard laiteux, épandu et flottant sur tous les lointains, ces vapeurs reflétées de soleil, ce chatoiement dans l’air de tons neutres, cette lumière même un peu violette, et assez semblable à la couleur de l’eau dans un verre de cabaret, tout ce doux milieu de nature, fait ressortir,