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Page:Groslier - À l’ombre d’Angkor, 1916.djvu/191

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Vent et bœufs en marche soulèvent des nuages de poussière sablonneuse qui nous couvre comme une cendre et craque sous les dents. Les larges feuilles des arbres, séchées par le soleil, tombent avec un bruit de métal.

Sur les pistes que l’on parcourt, les seuls êtres vivants qui errent dans ces solitudes ont marqué l’empreinte de leurs pieds. On reconnaît le double croissant des bœufs, l’anneau du cheval, les marques incisives du sabot nerveux des cerfs. Ailleurs, où la dernière eau dormante vient de s’évaporer, ce sont, dans la vase durcie, les étoiles déliées des échassiers ou le large labourage des éléphants sauvages. Et puis, par-dessus tout, voici les pas des hommes, des enfants et des chiens fidèles près de l’ornière des charrettes.

Ces traces effacées chaque matin par le vent et reformées chaque jour sont toute la vie de la forêt qui reste pétrifiée quelques instants : les grands et redoutables mystères nocturnes, la terre bouleversée du combat des fauves, les herbes foulées pendant leur sommeil et la conjonction terrible des traces vers les points d’eau — toute la tragédie séculaire de l’astuce et de l’instinct.