Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
mes mémoires

au moins théorique, convaincus, au reste, par l’expérience historique et par le droit naturel, qu’un homme libre et sensé n’a qu’une patrie et ne peut avoir qu’une patrie, jamais, nous n’accepterons pour patrie d’autres pays que la terre de nos pères, le Canada, d’autre chant national qu’un hymne canadien, d’autre drapeau que le drapeau du Canada.

Je glisse sur les « remèdes possibles » à pareille situation. Je m’aperçois, en effet, qu’en dépit de ma promesse de tout à l’heure, je cède encore à la manie de me trop résumer et citer. Je termine cette conférence par un appel à la jeunesse que je veux vibrant. Un moyen suprême de rétablir la bonne-entente, l’accord possible au Canada, ce serait de former enfin un peuple fier et un peuple fort. Je définis ce qu’il faut entendre par ces deux termes, et termine par ces derniers mots :

Le Canada français de demain, création originale, sera la chair de votre chair, la fleur de votre esprit. Il jaillira resplendissant de jeunesse et de beauté, de votre souffle de jeunes Français, de votre sociologie de fils du Christ. Vous nous le ferez pour qu’enfin, dans la vie d’un petit peuple qui n’a jamais eu, quoi qu’on dise, beaucoup de bonheur à revendre, il y ait une heure, un jour de saine revanche, où il pourra se dire comme d’autres : j’ai un pays à moi ; j’ai une âme à moi ; j’ai un avenir à moi !

Ainsi, en ces années quarante, se ponctuaient, sur le mode sévère, mes dicts et convictions. On me fit le reproche d’avoir parlé avec amertume. En avais-je véritablement et surtout contre nos compatriotes anglophones ? J’en avais surtout, ce me semble, contre les miens. Leur bonasserie devant l’Anglo-Saxon m’humiliait, m’exacerbait et tout autant leur sot esprit de parti, le gâchis qu’était devenue une fédération d’où aurait pu sortir, pour nous, avec une liberté accrue, une première et brillante efflorescence de notre état social et de notre culture. La conférence mise en brochure n’en connut pas moins un succès foudroyant. L’édition française connut les 150,000 exemplaires, si bien qu’on put l’offrir à cinq sous. On en vint à réclamer une version anglaise. L’ami Gordon O. Rothney se mit à la tâche et la version