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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/79

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septième volume 1940-1950

Je ne vous ai pas caché, non plus, les inconvénients qui peuvent résulter d’un enseignement et d’une éducation confiés trop exclusivement à des Français de France. Non que j’entretienne, certes, à l’égard de ces Messieurs le moindre préjugé, ni que je me fasse illusion sur l’opportunité de fournir à notre jeunesse les avantages d’une culture française plus poussée. Mais après expérience acquise au Collège de Valleyfield, je ne crois pas que l’on puisse raisonnablement demander à un Européen, fils d’une nation de 40 millions d’habitants et habitué à considérer son pays comme le pivot de la vie européenne, je ne crois pas, dis-je, que l’on puisse demander à cet éducateur de se dépouiller en quelques jours ni même en quelques années de sa mentalité d’Européen et de s’adapter, comme il convient, aux aspirations d’un petit peuple d’Amérique d’à peine 3 millions. Or vous l’avez toujours pensé, vous-même, Monsieur le sénateur, ce qui importe, avant tout, ce n’est point que dans 25 ou 30 ans, nous possédions un certain nombre des nôtres, plus férus de culture française que la majorité de leurs compatriotes, mais bien plutôt que cette élite soit en état de se mettre franchement au service de notre pays et de notre petit peuple. C’est bien le moins que nous puissions souhaiter. Mais ce moins, pour l’obtenir, il faudra, vous le savez vous-même, autre chose que l’enseignement de l’Histoire du Canada. Il y faudra toute une atmosphère morale que des Européens les mieux intentionnés du monde ne sont pas en état de faire naître.

Il y a autre chose. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, la fondation du Collège Stanislas implique la condamnation de notre système d’enseignement secondaire tel qu’il fonctionne généralement à l’heure actuelle. Pour ma part, je ne me reconnais pas le droit d’accepter cette fondation et de la recommander au public, sans en même temps, proposer quelque réforme pour l’amélioration de notre propre système. Ce système va continuer d’exister et de fonctionner. Il reste et va rester le système normal par lequel se diffusera, dans notre province, la culture française. Personne ne se fait illusion : ce n’est pas avant une vingtaine d’années que le Collège Stanislas pourra donner des fruits et faire sentir son influence. Pendant ce temps-là, plus de trente collèges, dont nous constatons l’insuffisance, continueront de déverser dans la société, des milliers de jeunes gens estimés incompétents. Je croirais donc commettre un suprême illogisme en faisant de la publicité au Collège d’Outremont et d’autre part, en ne proposant rien pour l’amélioration de nos propres maisons d’enseignement. Mon humble avis est