Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
LE SURVENANT

— En tout cas, il agit pas comme tel : il cherche pas à se battre.

Didace protesta : « C’est en quoi ! »

— Comment ça ?

— S’il est si pacifique, c’est qu’il en a les moyens.

Le Survenant avançait une chaise pour prendre place parmi eux. À leur air, il comprit qu’il était question de lui. La chaleur et la bonne chère leur enlevaient tout penchant à la discussion. Ils se remirent à causer nonchalamment. Dans une trame molle, les propos se croisaient sans se nuire, comme les fils lâches sur un métier, chaque sujet revenant à son tour : l’hiver dur, les chemins cahoteux, la glace, les prochaines élections, l’entretien des phares qui changerait de mains si le parti des Bleus arrivait au pouvoir…

Ils devinrent silencieux, comme de crainte de formuler le moindre espoir en ce sens. Soudain l’un résuma tout haut le convoitement intérieur de la plupart d’entre eux :

— Tout ce que je demande, c’est un petit faneau à avoir soin : le petit faneau de l’Île des Barques, par exemple. Ben logé. Ben chauffé. De l’huile en masse. Trente belles piastres par mois à moi. Rien qu’à me nourrir, et à me vêtir, me v’la riche !

— Puis un trois-demiard pour te réjouir le paroissien de temps à autre ?