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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/267

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produire un rythme dans le langage, elle tend à rythmer la pensée même, à y introduire une sorte de balancement harmonieux, à la rendre pour ainsi dire ondulante au lieu de la laisser aller droit son chemin. Nous avons le plus frappant exemple de cette pensée rythmée dans la poésie hébraïque. Il y a des strophes de pensées comme il y a des strophes de mots, et on ne peut écrire les secondes que si, avant de s’exprimer dans des mots précis, la série des idées poétiques s’est déjà organisée d’elle-même en groupes réguliers, se correspondant l’un à l’autre. Ce rythme, qui remonte jusqu’à l’intelligence et va régler pour ainsi dire jusqu’aux vibrations de nos cellules cérébrales, est, comme on le voit par l’exemple des Hébreux, tout à fait indépendant de l’action exercée par la rime. Il est certaines pensées qui naissent en nous toutes prêtes à être mises en vers.

    lui-même comme d’ailleurs la langue populaire. Outre cette hardiesse expressive des tournures, la poésie exige des mots concrets, avant tout des verbes, et parmi les substantifs ceux qui expriment autant que possible des actions. Les mots les plus primitifs, qui se trouvent souvent aussi les plus courts, sont en général préférés ; pour précipiter la pensée, on supprime une foule de mots secondaires qui servent en prose à relier les phrases ou à les remplir ; pour la diriger du premier coup sur l’objet à voir, on emploie les termes propres et concis. Précisément parce que le langage poétique doit être plus voisin de l’action, il doit être plus imagé que la prose. L’image, comparaison ou métaphore, n’est qu’un moyen de nous faire voir et sentir l’idée, conséquemment de la mettre en action ; toutes les fois que l’image n’est pas cherchée, elle ne complique donc pas, elle simplifie. Aussi le langage poétique est-il en somme le langage actif et primitif par excellence : quand il exprime les idées les plus hautes, c’est par les moyens les plus simples, et l’idée grandit dans cette simplicilé même de l’expression.