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Page:Guyot - Les principes de 89 et le socialisme.djvu/177

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par être moine. Il avait jeté le froc aux orties pour certaines considérations ; mais il n’en admirait pas moins la règle qui fixait l’action et même la pensée, leur assignait des heures déterminées, les rythmait par la cloche et la prière.

Je proposai à ce malheureux abandonné de devenir son prieur et son colonel. Il accepta avec effusion. Je lui donnais la veille des ordres pour le lendemain, de manière à occuper toute sa journée. Je lui disais :

— Vous m’attendrez en face du casino à six heures.

Il y était. J’arrivais à six heures et demie. Je l’avais occupé à m’attendre pendant une demi-heure. Il était enchanté. Un jour, je laissai une lacune dans ses occupations. Il s’empressa de la remplir par une perte au baccara, qu’il pouvait, du reste, supporter sans inconvénient, pourvu qu’elle ne fût pas quotidienne, — car cet homme docile était riche. Je redoublai la rigueur de ma discipline. Il en était si enchanté que quoique sa cure ne fût pas terminée, il partit en même temps que moi, ayant peur de rester isolé et livré à lui-même.

Eh bien ! socialiste, mon ami, qui veux que l’État contracte pour toi, agisse pour toi, te protège, te guide, règle tes volontés et tes actes, tu es comme mon officier qui avait commencé par être moine ! Tu as la modestie de reconnaître que tu es incapable de te diriger toi-même, — et à en juger par tes actes parfois, tu as raison !

Mais si tu te reconnais incapable de te diriger toi-même, pourquoi veux-tu diriger les autres ? voilà où commence la contradiction.