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Page:Hamont - Dupleix d’après sa correspondance inédite, 1881.djvu/64

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tait plus le corsaire que l’homme d’État. Dupleix, encore sous l’impression de l’enthousiasme qui l’avait transporté à l’arrivée de la flotte, se faisait fort de ramener l’amiral à une appréciation plus nette de l’état des choses. « Je ne puis savoir à présent, lui disait-il, le parti qu’il conviendra de prendre sur Madras, si vous avez le bonheur de vous en emparer. Je vous ferai simplement la réflexion que tant que cette place subsistera, Pondichéry ne fera que languir, et que le commerce y tombera toujours. Il n’est pas suffisant de se contenter d’un avantage présent, peut-être incertain ; il faut un peu songer à l’avenir. Je ne suis pas du tout d’avis que Madras démantelé puisse se rétablir en un an. Plusieurs années n’ont pu suffire à la mettre comme elle est. Les facilités sont actuellement bien moindres. »

Chose étrange ! la lecture de cette lettre laissa dans l’esprit de La Bourdonnais une impression d’aigreur. Il crut qu’on lui donnait une leçon ; il vit dans ces idées politiques une tentative d’empiétement sur son pouvoir de chef d’expédition. Au fond, il ressentait déjà cette gêne, insupportable pour son caractère entier, d’une autorité avec laquelle il fallait vivre en bonne harmonie et en contact perpétuel. La popularité, la supériorité de Dupleix lui causaient des tressaillements de jalousie. Il devenait tout à coup sombre et hésitant ; il émettait des doutes ridicules.

Dupleix, tout en commençant à voir clair dans cette âme malade, jugeait La Bourdonnais comme une nature nerveuse, irritable, ombrageuse, un peu gâtée par l’habitude de la domination, mais chevaleresque, sensible au point d’honneur, au sentiment du devoir,