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Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/31

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Oh, il ne pouvait pas donner libre cours à sa douleur en ce moment, il devait veiller, ne pas se laisser émotionner, il devait être prêt à entraîner ses hommes à la bataille, fidèle à l’ordre :

— Résister !

Quelques instants plus tard on enleva le cadavre de Wallyn, pendant que le canon tonnait et que la mitraille sifflait par-dessus cette plaine de douleur et de désolation.

L’incendie faisait rage dans toutes les directions…

Les flammes pétillaient dans les fermes et les moulins… Des fuyards terrifiés couraient le long des routes. Ils n’avaient pas voulu s’enfuir, à temps, jugeant la guerre un peu à la légère.

Le couvent de Pervyse regorgeait de blessés. Des infirmiers et des sœurs de charité les entouraient soignant et pansant leurs blessures… Mais le couvent n’était pas un lieu sûr, car le drapeau sacré de la Croix Rouge était violé par les Allemands dans cette lutte cruelle.

Les obus et les shrapnells embrêchaient les murs, éclataient à proximité et menaçaient l’immeuble qu’on dut évacuer à la hâte.

Quel triste convoi dans ce beau petit village où la mort hurlait maintenant… Beaucoup d’habitants s’étaient enfuis, mais d’autres restaient et, retranchés dans les caves, bravaient le danger…

De Dixmude à Nieuport, le long de la rivière tortueuse, dont le paisible clapotement et le bruissement des roseaux étaient si cruellement et si violemment troublés, ce n’était plus qu’une mare de feu, d’épouvante, de douleur et de destruction, où la mort fauchait.

Et à l’ouest, en France, et à l’est en Zéelande, on n’entendait plus que la terrible voix de l’airain en fureur, la voix puissante de la bataille farouche, la voix de la mort.

Verhoef et ses hommes goûtaient encore un moment de repos…

Certains, qui s’étaient reposés un peu avant l’attaque, gisaient déjà morts ou mutilés sur la plaine !… et d’autres, qui rêvaient tristement, vivaient leurs dernières heures…

Le repos ! c’était la faux de la mort, qui se reposait un moment, pour redoubler de vigueur et sabrer dans les rangs des jeunes gens à l’est et à l’ouest de l’Yser…

Le lieutenant et Antoine Deraedt avaient conclu un pacte sous l’impression de ces scènes cruelles…

Celui qui serait épargné, devait tâcher d’avertir les parents de la terrible nouvelle qu’ils ne pouvaient ignorer.

Le bombardement continua pendant toute la nuit.

Verhoef tendait l’oreille vers un bruit sourd et continu, qu’il n’avait pas encore perçu jusqu’alors. Il supposait que cela pouvait être la nouvelle artillerie des Allemands.

Mais on apprit qu’une escadre anglaise était devant la côte et qu’elle labourait de ses terribles projectiles les rangs des Allemands à l’assaut.

C’était l’arrêt des hordes ennemies, mais c’était aussi la destruction du pays entre l’Yser et Ostende.

Soit ! mais les Allemands ne passeraient pas. On sacrifierait tout pour la liberté. On ne souffrirait pas l’esclavage !

Pendant la nuit, les Allemands avaient rampé jusque derrière les digues de la rivière et ils avaient construit un pont.

Le jour pointait à peine qu’une bataille acharnée se déclancha.

En un clin d’œil, le pont fût jeté sur l’Yser… Mais nos soldats attendaient… Quatre mitrailleuses furent disposées à la hâte devant le pont et elles semèrent la mort dans les rangs des Allemands… De part et d’autre l’artillerie faisait un bruit infernal.

Et sur le pont…

Verhoef frissonna d’abord, mais soudain la colère l’emporta… Elles arrivaient à nouveau ces hordes barbares qui répandaient la désolation par toute la Belgique…

— Feu, mes amis ! Feu ! cria-t-il. Voyez comme ils tombent ! On les tient, ils ne passeront pas ! Hardi les gars !

Et les mitrailleuses fauchaient sans trêve. Des blessés gémissaient, essayaient de se relever, étaient piétinés par de nouveaux soldats à la charge, qui s’abattaient à leur tour, grossissant les hécatombes. Le sang coulait du pont, rougissait l’Yser. Des morts et des vivants étaient lancés dans le courant… Des blessés se battaient dans l’eau, appelaient au secours… jusqu’à ce qu’ils disparurent dans l’onde. Des cadavres restaient suspendus dans les roseaux.

Le canon, les fusils, les mitrailleuses, les ordres brefs, les menaces, les cris de guerre, de détresse et les hurlements des mourants formaient un bruit assourdissant… Des bombes étaient lancées sur le pont, d’autres éclataient sur l’autre rive au milieu des ennemis, déchiquetaient des hommes, arrachaient des têtes, des bras, des jambes, déchiraient des corps, projetaient des cerveaux et des intestins dans l’espace…

Mais des scènes semblablement cruelles avaient lieu à l’ouest, où des blessés couverts de sang rampaient par dessus des morts pour fuir cet enfer, et où des mutilés hurlant, pleurant et gémissant, mouraient d’angoisse et dans leur détresse appelaient leur mère, leur femme, leurs enfants…

Devant le pont, les mitrailleuses raquetaient, semant la mort qui triomphait emportant un riche butin… des jeunes gens nageaient dans des mares de sang, d’autres étaient lancés dans des fossés, dans l’herbe, dans les roseaux ou dans la rivière qui paraissait insatiable…

L’artillerie allemande ainsi que ses mitrailleuses furent pourtant supérieures pendant quelques instants et les Belges durent évacuer leurs tranchées devant l’Yser… ils opérèrent leur