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Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/5

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inconnu. Une lettre annonçait que le Jordaens avait disparu mais que les habitants de Dixmude seraient certainement heureux de ce chef-d’œuvre.

Il fallut bien d’ailleurs. Guillaume 1er soigna plus tard à ce que le vrai Jordaens occupa son ancienne place.

Paul était tout épris lorsqu’il parlait de son pays. Il se battait maintenant pour la Belgique, pour sa patrie.

Et Berthe reporta ses idées vers Anvers.

En juillet dernier elle s’était encore promenée avec son fiancé le long de


l’Escaut à Anvers, la cité commerciale, le port mouvementé, qui recèle également le siège de l’art.

Paul l’avait amenée au Musée des Beaux-Arts, au Musée Plantin et à la Cathédrale, où il lui montra deux chefs-d’œuvres de Rubens.

Et on bombardait Anvers maintenant… les obus devaient tomber dru sur les forts et peut-être sur la ville.

Et si Anvers capitulait, qu’arriverait-il ? Les Allemands marcheraient-ils alors vers l’ouest, vers l’Yser ?

Le théâtre de la guerre s’étendrait-il jusqu’à la paisible région de Furnes ? On en doutait, mais la possibilité n’était pas exclue, car il y avait Dunkerque et sa forteresse dans ces parages.

Et pourtant, la guerre dans ces régions était par la plupart des gens jugée impossible…

Pourquoi ? Berthe n’aurait pu le dire, mais c’était comme par instinct : Dixmude et Nieuport, ainsi que toute l’agglomération, revêtirent toujours un aspect si calme, si serein, si paisible, on n’y voyait quasi jamais un incident extraordinaire et on ne pouvait s’imaginer un tel bouleversement.

Cette idée s’était propagée un peu partout. Liège, Tirlemont, Namur, Dinant, Louvain, Charleroi, Aerschot, Termonde, Anvers étaient empreints des mêmes idées et pourtant tous avaient été entraînés dans le cataclysme. Berthe frissonnait lorsqu’elle songeait à ces récits affreux.

Et voilà qu’on aurait peut-être la guerre ici…

Des paysannes entraient, sortaient, le cœur oppressé, inquiètes, agitées, attristées…

Berthe quitta l’église.

De nombreux petits groupes ornaient la Grand’Place. On se montrait des lettres du front, on commentait les nouvelles, on propageait toutes sortes de bruits, on craignait et on espérait à la fois…

Berthe rencontra une amie, Marguerite Dekkers, qui lui raconta, toute heureuse, que son frère, soldat desservant un des forts d’Anvers, lui avait envoyé une lettre.

— Il se porte toujours bien, dit-elle, mais la lettre date d’il y a 10 jours et maman, qui était tout heureuse lors de la réception, est à nouveau inquiète parce l’activité rehausse autour d’Anvers.

— Les Anglais y sont allés au secours… Anvers ne tombera pas aux mains des Allemands…

— Tu as des nouvelles de Paul ?

— J’en ai reçu avant-hier, il était à Waelhem lez Malines… Le combat y est également acharné disent les journaux. J’en suis souvent toute éplorée et c’est alors que j’ai recours à la prière. Quelle misère.

— C’est cruel !

Les jeunes filles se quittèrent. Berthe hâta le pas vers la maison. Son père, jadis négociant en grains, avait gagné une jolie petite fortune et vivait actuellement en rentier. Il s’occupait maintenant de la lecture et d’antiquités, c’était un collectionneur passionné et sa maison ressemblait à un petit musée.

Madame Lievens était morte il y a deux ans. Berthe, la fille unique était un aide fidèle pour le père, et elle administrait la maison avec Pélagie, la vieille servante, qui était au service de ses parents depuis plus de vingt ans.

M. Lievens lisait le journal lorsque sa fille entra.

— Beaucoup de nouvelles, papa ? demanda-t-elle.