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Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/6

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— Ô, ces journaux, j’en ai plein le dos ! Hier ils nous racontaient que la situation était excellente autour d’Anvers et aujourd’hui ils annoncent que la ville sera bombardée et que les habitants doivent se sauver.

— C’est donc si grave, papa ! dit la jeune fille apeurée.

— Cet Allemand doit quand même être d’une force herculéenne. Ils prendront Anvers également ! Et la forteresse n’était pas à prendre.

— Et que feront les soldats, papa ?

— Oui, les soldats !… Mais, Berthe, reprit amicalement M. Lievens, il ne faut pas précisément être très pessimiste.

L’armée peut battre en retraite…

— Vers où ?

— Vers le littoral…

— Les soldats pourraient venir ici en ce cas ?

— Qui sait… Mais où restent donc les Français et les Anglais ? Si un revirement n’intervient pas, toute la Belgique y passera.

À propos tu devrais te rendre à Furnes, cet après-midi. Ton oncle Charles m’écrit qu’il y arrivera d’Ypres. Il sera à trois heures à la Rose Noble (un restaurant fameux par son histoire). Tu lui remettras une liasse de valeurs, qu’il m’avait confiées. Je trouve ce procédé meilleur qu’en me fiant à la poste. On ne sait jamais à quoi on s’expose.

— J’irai en vélo, le temps est beau.

— C’est si loin…

— À Furnes, papa ! J’ai déjà tant de fois fait la route. En chemin de fer on est encaqué comme des harengs.

— Soit, fais à ta guise… Mais pars à temps. Je ne suis nullement à mon aise au milieu de tous ces évènements. Au début nous n’enregistrions que victoire sur victoire, mais il me semble que l’avenir ne nous réserve pas un riant horizon.

Berthe partit après le dîner. Elle aimait pédaler et trouvait ainsi l’occasion de laisser flotter ses idées. Elle croisa le Haut Pont sur l’Yser, le capricieux petit fleuve sillonnant les champs et les prés et qui a acquis une gloire immortelle.

De temps à autre Berthe était craintive et des larmes lui noyaient alors les yeux ; elle tremblait pour son fiancé, mais l’espoir et la foi prirent toujours le dessus.

Anvers capitulerait, mais l’armée pouvait opérer une retraite. La reddition de la métropole belge serait peut-être le dernier fait d’armes dans la patrie et la guerre n’engagerait plus que la France, l’Angleterre et l’Allemagne.

On n’en verrait rien ici parmi ces paisibles paysages. On ne se battrait pas au pays de Furnes…

Quant à Dunkerque, il se put que les Allemands atteignirent cette forteresse par la France.

Ici, le calme régnait. Là, à droite, on voyait Stuyvekenskerke et plus près encore, la vieille tour sans béguinage de Oud-Stuivekenskerke.

Paul aimait tant cette vieille tour solitaire, sise au milieu des prés. Lorsqu’il était en congé, il montait maintesfois au clocher pour jouir du large panorama, qui remémorait les aïeux, leur labeur et l’imposante majesté de leur œuvre séculaire.

L’histoire de ce pays recélait de nombreuses guerres, mais elles dataient depuis longtemps…

Que serait-ce maintenant ?…

Tout à coup Berthe saute de son vélo. Un soldat belge approche par un sentier poussiéreux… elle désirerait le questionner… Il est tout proche maintenant et ressemble beaucoup à un vieillard.

Et pourtant à le regarder un peu plus minutieusement, on jugerait qu’il n’a pas dépassé les 35 ans. Il a le dos voûté et la marche difficile ; mais sa face basanée par le soleil reflète un miroitement joyeux.

Le soldat redresse soudain la taille, son pas s’accentue.

— Père, père, père ! crie-t-on, et trois petits bambins s’amènent en courant.

Le militaire tend les bras. Il revoit ses petits amours, il veut les embrasser tous à la fois, les réunir en un premier baiser.

Des larmes lui coulent des joues.

— Ô mes chers petits, mes chers enfants ! dit-il, en un sanglot.

D’abord Berthe n’entendait rien que : « Père… et enfants. »

Mais voilà qu’une jeune femme s’élance, après avoir hésité un instant.

C’est son mari, mais quelle transformation !

On serait tenté de croire qu’elle est sa fille…