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Page:Haraucourt - L’Âme nue, 1885.djvu/88

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LES CULTES.

Sur laquelle Justice et Haine n’ont rien pu.
Le bloc royal attend : tel un lion repu,
Superbe, et tout entier ramassé sur son torse,
Dort dans la majesté terrible de sa force.

L’Océan d’hommes va, déferle au pied des tours,
Reflue, et, noircissant au loin les alentours,
S’étale en nappes, chaud comme un torrent de lave.
Aux créneaux, les canons dardent leur grand œil cave ;
Les meurtrières sont luisantes de fusils,
Et, guettant les élus qu’elle a déjà choisis,
La mort veille. Hurlant de rage et d’impuissance,
L’orage humain se jette, et recule, et s’élance,
Et fait tourbillonner le remous de ses flots
Qu’il brise au choc des murs invinciblement clos.


Or, dans ce grondement de fureur populaire,
Un homme s’avança ; sans un cri, sans colère,
Calme, s’étant frayé doucement un chemin.
Il franchit les fossés, une hache à la main.
Et seul, les deux bras nus, vint prendre la Bastille.