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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/119

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les demi-civilisés

profonds, calmes. Il était tout culture et tout raison. L’esprit philosophique et mesuré, observateur comme pas un, jugeant des hommes vite et bien, plein de franchise et de loyauté, il était l’équilibre même, et, dans les discussions que nous soulevions devant lui, il avait généralement le dernier mot, le mot définitif, car il se cramponnait au bon sens.

Ce diable-là comprenait tout, devinait tout et jugeait de tout avec une indulgence et une bonté rares. À cause de ces qualités, il était devenu mon meilleur confident. Quelques jours après mon inexplicable rupture avec Dorothée, je lui avais conté mon histoire. Voici sa réponse.

— Dorothée n’est pas femme à prendre à la légère une décision aussi grave : elle t’aimait, et je ne vois pas pourquoi elle ne t’aimerait plus. Sincère, expansive et volontaire comme je la connais, elle t’aurait tout dit si cela lui avait été possible. Il faut que le secret caché là-dessus soit extraordinaire pour qu’elle se condamne au silence et t’inflige, à toi qu’elle adore, une telle blessure. Patience ! Un jour, tu sauras tout.

Cette réponse me parut banale, comme toute condoléance d’un ami qui veut panser délicatement une plaie. Dans la suite, les événements confirmèrent si bien son diagnostic que je vis en Lucien un prophète.

Ce fils de paysan s’était forgé une morale et une philosophie à lui, mais sans dogmatisme. Un jour que