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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/32

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les demi-civilisés

en route. Vois-tu, mon petit, le bon sens, c’est ce qui manque le plus à bien des gens qui ont appris la vie dans les livres d’écoles. Quand on le lâche, on devient bon à rien. Moi, quand je vois blanc, je dis que c’est blanc, et on me mettrait en pièces que je dirais encore que c’est blanc. Des « professionnels » qui voyaient noir et qui disaient que c’était blanc, j’en ai vu des masses. Ils croyaient tout ce qu’on leur avait dit, tout ce qu’ils avaient lu. Ils ne croyaient pas ce qu’ils voyaient, ni ce qu’ils pensaient. Ils avaient foi en tout, excepté en eux-mêmes.

Nous suivions la rive. Parfois, les branches nous barraient la route, et nous marchions dans l’eau. Je ne parlais pas, à cause de ce que m’avait dit ma mère sur le compte du père Maxime, mais ses paroles me fascinaient. Ce vieux, qui a couru mer et monde, pensais-je, doit savoir tant de choses que les autres ne connaîtront jamais. Et cette pensée me scandalisait. Je sautais d’un caillou à l’autre, puis me rapprochais de ce réprouvé, avec le sentiment qu’un malheur allait fondre sur nous.

— Pourquoi es-tu muet, aujourd’hui, le petit ?

— Je ne sais pas.

— Tu ne sais pas ? Tu étais plus bavard, l’an dernier, je m’en souviens. Depuis, tu ne t’es plus jamais arrêté devant ma porte. Quand l’enfant grandit, il n’aime plus les vieux.

— Ce n’est pas pour ça, père Maxime.