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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/33

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les demi-civilisés

— C’est pour autre chose ? Dis-moi…

— Ma mère me l’a défendu.

— Je m’en doutais. Ta mère a bien fait. Vois-tu, j’ai mes idées. Elle a les siennes. Vaut mieux que tu prennes les siennes. Moi, je n’ai pas vécu comme les autres. J’ai pensé autrement aussi. Dans ma parenté, dans mes amitiés, on n’a jamais pu s’entendre, parce qu’on n’avait pas la même manière de voir. Je ne les en aimais pas moins, parce que je crois que l’important, dans la vie, c’est d’être honnête et sincère. Il ne faut mentir à personne, pas même à soi-même. Je ne me suis jamais menti, ça, je te le jure. Je n’ai jamais fait de mal à personne. Quand j’ai eu un sou de reste, je l’ai donné à ceux qui en avaient plus besoin que moi. J’ai travaillé toute ma vie. La peine ne m’a pas épargné. Mes enfants sont morts sous mes yeux. J’ai dit : « Endure Maxime ! » J’ai été capitaine de longs cours. Un jour qu’on avait fait naufrage, avec des passagers, je suis resté à mon poste jusqu’au bout, puis, quand la dernière chaloupe eût quitté le bateau, je me suis laissé couler. On est venu me repêcher. J’avais tout de même sacrifié ma vie. Je pense que c’est une bonne action. J’en ai bien d’autres, va. Me voici vieux. On me trouvera mort un de ces matins. Deux ou trois fois la semaine, il me prend des étourdissements. L’autre jour, je suis tombé sur le plancher. Je crois que j’y suis resté une heure. Personne n’était là pour me secourir. J’ai failli crever comme un chien.