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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/80

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les demi-civilisés

norme, un crâne transparent comme une boule de cristal et large comme une voûte d’église, dans lequel s’agitaient, grimaçaient, pleuraient, riaient, haïssaient et aimaient le vaniteux et honnête Birotteau, l’envieuse et intrigante cousine Bette, le sensuel et veule baron Hulot, le compatissant Benassis, toute l’armée de la bourgeoisie née de la révolution. Lamartine, vieux, noble loqueteux et divin, traînait ses habits râpés dans Paris… Au-dessus de la vision des génies, un chant s’élevait, d’abord lointain, puis se rapprochant peu à peu, grossissant comme un torrent sous la pluie, et, sur une formidable vague d’harmonie, paraissait le front de Wagner… D’autres et d’autres encore défilaient dans cette songerie, jusqu’à ce que le spectacle se transformât. La foule des génies se changea en un parterre de fleurs géantes. Mille parfums s’exhalèrent parmi des chants d’oiseaux. On eût dit que toute la douceur des choses émanait de ce jardin et que le monde, barbare et implacable, se serait abîmé dans l’enfer, s’il n’avait eu cette moisson d’immortalité.

Ce tableau éblouissant et fugitif me suggéra que la plus haute perfection humaine procède de la science et de l’art, des rayons et des fleurs. Le meilleur des hommes serait peut-être celui qui percerait le mieux le secret des êtres et qui, en tout, dans la pensée, l’acte et l’objet, saisirait le reflet de la beauté.

Voilà ce que je voudrais être, et je n’en trouve pas le moyen.